Que vont apporter vos recherches « Agro-Eco-Clim » au monde paysan ? Agro-Eco-Clim, c’est une collaboration étroite entre la recherche (UNINE) et la pratique (FRI et les agriculteurs-trices membres). Nous voulons une collaboration avec le monde paysan, grâce à la Fondation sur La Croix et la Loterie romande qui soutiennent la démarche. Cette vision UNINE-FRI se concrétise dans de nombreux projets et dans la durée. Nous avons pu relever le défi d’associer la recherche universitaire, les conseillers et les 1’500 agriculteurs de la FRI. Le CEDD-Agro-Eco-Clim demande de la patience. Nous construisons une autre manière de travailler entre savoirs pratiques et savoirs scientifiques. Le nouveau projet-ressources « Climagriculture », pour lequel nous sommes en attente d’une décision de l’OFAG, visera des solutions concrètes qui se basent sur les besoins exprimés par les agriculteurs-trices et sur leurs expérimentations, avec l’appui de la recherche. Les livrables concrets sont par exemple :
- Pour mon fourrage, comment puis-je gagner des connaissances pour gérer différemment mes herbages et cultures (variétés, stockages), afin d’être mieux armé en cas de sécheresse ?
- Comment puis-je résoudre mes problèmes d’abreuvage de bétail au pâturage en sécheresse ?
- Comment puis-je concevoir une irrigation pour mes cultures spéciales, qui fassent sens d’un point de vue agronomique et économique ?
« Scientifiques, conseillers et agriculteurs-trices gagnent tous à travailler ensemble »
Nous offrons une collaboration étroite avec la recherche afin de cocréer des savoirs et offrir un cadre qui facilite l’expérimentation par les agriculteurs. Le suivi permet de valoriser ces expériences, bonnes ou mauvaises. La dimension collective de l’apprentissage est importante.
Comment travailler ensemble pour des recherches de solutions, afin d’en faire profiter les familles paysannes JU et JB ? Je continue de croire qu’avec notre regard « sciences sociales », nous aidons à poser les questions différemment, ouvrir de nouveaux chemins. Le regard externe de la recherche permet ce regard indépendant des scientifiques. Il s’agit aussi de renouveler les regards et les approches, sur les fermes, dans le conseil et dans la recherche. Par exemple la dimension « sociale » de la durabilité est actuellement peu intégrée dans les réflexions, or elle est au cœur des entreprises et des actions pour nourrir nos populations.
Vous travaillez avec une équipe de climatologues : à quoi ressemblera notre agriculture Interjurassienne en 2050 ? Nous n’avons pas de boules de cristal, mais en 2050, nous aurons de vrais bouleversements : augmentation de la fréquence et de l’intensité des phénomènes météorologiques extrêmes (sécheresses et fortes pluies), ainsi que des températures de l’air moyenne toujours plus chaudes. L’agriculture sera donc très différente de celle d’aujourd’hui. Si on regarde le siècle passé, en 1900 c’était un monde et une agriculture très différents d’aujourd’hui. Il en sera de même à l’avenir ; mais aujourd‘hui nous nous trouvons devant de plus grandes incertitudes : notamment climatiques et écologiques, mais aussi sociales et économiques. Certains de ces changements nous les vivons déjà. Que cela signifie-t-il pour la région interjurassienne et ses sols particuliers ? Par exemple, un agriculteur nous disait :
« Je ne compte plus sur mes fourrages d’été et je me concentre sur les récoltes de printemps ;
le reste sera du bonus en année normale »
Les paramètres climatiques vont changer de manière drastique. Par exemple la catastrophe de Blatten VS en mai 2025 nous démontre brutalement l’ampleur des bouleversements climatiques qui nous attendent. A cette image nous allons vivre des années agricoles difficiles. Les organisations agricoles et les entreprises agricoles vont s’adapter. La production devra aussi avoir un impact climatique plus réduit (fermer les cycles, économiser les ressources). L’effondrement de la biodiversité est aussi inquiétant et apparait en même temps que nos autres problèmes. La société attend donc de l’agriculture un rôle de productions nourricières, tout en étant efficiente au niveau des ressources, ménageant le climat par nos émissions et elle compte aussi sur nos bons soins aux paysages et à la biodiversité.
« La Suisse, c’est le monde à l’échelle un millième ! Mais c’est l’endroit idéal pour innover dans les systèmes alimentaires avec une population fortement attachée à son agriculture, en quête d’une alimentation de qualité, saine, de proximité et qui préserve la nature. C’est un pays globalisé et dépendant du commerce mondial, mais qui souhaite maintenir une agriculture familiale proche des consommatrices et consommateurs »
Comment impliquer les paysan-ne-s ? Par nos liens étroits et directs avec les Chambres d’agriculture JU et JB premièrement, et aussi d’autres réseaux d’agriculteurs. Le dialogue avec le monde agricole est donc excellent, les attentes réciproques sont importantes. La compréhension du rôle du CEDD-Agro-Eco-Clim s’affine. De grands projets devraient être lancés prochainement, nous prévoyons la participation d’un nombre important d’exploitations, notamment dans le cadre du projet « Climagriculture », à condition que l’OFAG le soutienne financièrement. Le monde agricole participe volontiers, lorsque l’on lui propose d’innover et de tester des mesures tout en couvrant les risques. C’est ensemble que l’on va trouver des solutions adaptées aux défis qui nous sont posés.
« Si on travaille avec la recherche, ce n’est pas pour entendre ce qui nous ferait plaisir, mais pour poser les bonnes questions, construire ensemble, développer des capacités d’écoute avec la science, confronter nos pratiques agricoles, dialoguer entre nos diverses agricultures »
■ Propos recueillis par Olivier Boillat, FRI
Conseil du CEDD-Agro-Eco-Clim
En 2022, avec le soutien de Fondation Sur la Croix, la FRI et l’UNINE ont joint leurs forces pour créer le Centre d’excellence et de compétences pour le développement de systèmes agroécologiques durables dans l’Arc jurassien, dans un contexte de changement climatique (CEDD-Agro-Eco-Clim).
En un peu moins de trois ans de fonctionnement ce centre a développé un panel large et diversifié d’activités qui vont de l’implication dans des projets associant recherche et action (par ex. Terres Vivantes, Agro4esterie) à l’organisation conjointe de formation (par ex. formation continue FRI agriculture et dimension familiale, ateliers sur la transdisciplinarité). Le CEDD-Agro-Eco-Clim est un point de rencontre entre divers acteurs qui s’investissent pour un avenir durable de l’agriculture dans l’Arc jurassien. De nombreux projets sont encore en cours de développement, notamment dans les domaines de l’adaptation au changement climatique des exploitations agricoles, de la promotion d’une restauration collective plus saine, locale et durable et de l’intégration des valeurs locales dans les actions pour la biodiversité.
■ Contacts :
Centre de compétences CEDD-Agro-Eco-Clim
jeremie.forney@unine.ch
olivier.girardin@frij.ch T 032 / 545 56 00